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Le développement de l’intrigue : Désir et Conflit

Dans le billet précédent, j’abordais avec vous les notions d’exposition et de déclencheur. Ce sont les deux éléments qui composent le début d’une histoire. Mais une fois que l’intrigue est lancée, comment la développer ?

La nouvelle est certainement Le type de fiction le plus libre qui puisse exister. Sa petite taille et son côté parfois expérimental l’exonèrent de bon nombre de contraintes formelles. La nouvelle est aussi un laboratoire, les bons auteurs viennent y tenter ce qu’ils ne pourraient pas se permettre avec un autre format. Il est par exemple plus facile de détourner certains codes des genres dramatiques, de frustrer le lecteur par une fin différente de celle qu’il attend, et finalement, même la fameuse « évolution du personnage » peut être remise en question. Certaines nouvelles, notamment les plus courtes, ne reposent pas sur ce genre de mécanisme.

La nouvelle peut donc prendre des formes parfois si surprenantes qu’il me paraît impensable de théoriser une structure type. De temps en temps, l’intrigue est si minimaliste que l’histoire semble juste belle. Certains grands auteurs parviennent à nous fasciner par la simple rencontre amicale de deux personnes dont la grandeur d’âme force l’admiration. Je pense à L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono, un récit strictement contemplatif, mais qui est empreint d’une telle noblesse et d’une telle poésie que je le range parmi mes textes préférés. Bien entendu, l’écriture de ce type de texte repose pour beaucoup sur de grandes qualités stylistiques. Et puis, aucun Art ne souffre de règles universelles, car c’est de l’observation des chef-d’oeuvres que naissent les codes. C’est bien la preuve qu’au-delà de la technique, il faut également se fier à son intuition. De mes lectures, je dégage malgré tout deux ingrédients qui me paraissent nécessaires à (presque) toute intrigue : Le désir et le conflit.

Le désir

Le désir, c’est le moteur du héros, mais également celui de l’antagoniste et de tous les personnages qui vont prendre part à l’histoire. Ce désir correspond à l’envie d’atteindre un objectif. Le héros et son adversaire doivent avoir le même objectif, et un seul des deux pourra l’atteindre : dans une histoire policière, le héros et le criminel se battent pour atteindre un objectif : la version des faits qui sera considérée comme l’expression de la vérité.

 Le désir est ce qui rend le héros empathique et ce qui le pousse à continuer malgré les obstacles. On voit très souvent une progression dans les difficultés. Imaginons un personnage qui aurait pour objectif une performance sportive, s’il franchit l’Everest en premier, et qu’on le voit ensuite tenter l’ascension du puys de Dôme, l’intérêt risque d’être limité. Dans la succession d’obstacles, chaque épreuve doit être plus difficile que la précédente, jusqu’à l’épreuve ultime. Le fil du désir peut également suivre cette progression : Le personnage a un petit peu envie, il entreprend une action facile. Raté, il prend conscience qu’il a vraiment envie et entreprend une deuxième action, plus délicate. Encore raté. Il se rend compte que c’est ce qu’il veut le plus au monde et risque sa vie pour l’atteindre. Il n’y a pas besoin de démarrer avec un désir très fort. Il faut simplement qu’il soit suffisant pour pousser le personnage à agir.

Le conflit

Une histoire ne progresse (presque) que par le conflit. Le conflit avec soi-même (manque de confiance, complexe, peur, maladie…), le conflit avec ses proches (amant, parents, fratrie, amis…), le conflit avec la société et l’environnement physique (les gens, l’administration, les collègues…). L’élément déclencheur découle presque toujours d’un conflit, le rapport entre le héros et l’adversaire est conflictuel. Ce que certains appellent « créer du drame » est l’essence même de l’intrigue.

Une scène sans conflit n’a (presque) jamais d’intérêt. Elle risque d’être inutile et ennuyeuse. Mais le conflit n’est pas nécessairement physique ou violent. Dans la majorité des cas, il ne conduit pas à l’empoignade ou aux éclats de voix. Un conflit est simplement une opposition de valeur ou de point de vue. Il peut porter sur des détails. Il peut aussi être sous-jacent : lorsque deux personnes ont un rapport de séduction, elles ne sont pas ouvertement en conflit, et pourtant, chacun lutte pour établir un rapport de force en sa faveur. De la plus intime à la plus épique, toute intrigue progresse par le conflit et le franchissement des obstacles qu’il génère. Le conflit donne du corps et du goût à la scène, il pousse les personnages dans leurs retranchements, et les oblige à révéler leur personnalité. Tout simplement, il fait avancer l’histoire.

Exemple

Si je reprends le très bel exemple de la nouvelle de Jean Giono, on observe que, malgré le caractère poétique de cette intrigue (dont certains auteur se contentent, ce qui est d’après moi un tort), l’histoire est portée par le désir et le conflit :

Le narrateur entreprend une grande balade dans une région montagneuse. Il est en conflit avec la nature : le paysage est désertique, le vent souffle avec brutalité, le village dans lequel il pensait trouver de l’eau est abandonné…

 Il rencontre un berger qui lui donne à boire, le nourrit et l’héberge, ce qui assouvit le premier désir du narrateur (survivre).

Après, le berger se met à trier des glands. Le narrateur lui propose de l’aide, le berger refuse (conflit). Le narrateur lui demande de rester avec lui le lendemain, il souhaite en savoir plus sur ses activités mystérieuses (désir).

Leur relation est ensuite amicale, mais soutenue par des micros conflits : le narrateur demande à qui appartient la terre sur laquelle le berger plante des glands, l’autre lui répond qu’il ne s’en soucie pas. L’homme a planté 100 000 glands et espère en voir pousser 10 000. Le narrateur lui dit que dans trente ans, ces 10 000 chênes seront magnifiques, mais le berger lui répond que d’ici là, si Dieu lui prête encore vie, il aura planté tellement d’arbres que ces 10 000 premiers chênes ne se verront même pas. Les deux personnages ne sont pas en confrontation, mais ils s’opposent par leur point de vue.

Puis le narrateur est enrôlé pour la grande guerre (conflit), il ne peut pas retourner à la rencontre du Berger (désir). Plus tard, viennent les agents des Eaux et Forêts qui n’ont rien compris : ils croient à un miracle de la nature et demandent au berger de ne pas toucher à cette forêt naissante et fragile (conflit).

Pendant ce temps, le narrateur revient chaque année voir son ami et observer l’évolution du paysage (désir). Etc.

Conclusion

Le désir et le conflit sont les deux piliers de l’intrigue. Ils s’alimentent mutuellement, le désir génère des actions, ces actions provoquent des conflits qui eux-mêmes renforcent la ligne de désir. Le déclencheur donne une tâche à effectuer à votre protagoniste (dans l’homme qui plantait des arbres, le déclencheur est la découverte par le narrateur d’un berger qui consacre ses journées à planter des glands. L’objectif est alors de voir comment le paysage va évoluer, et la tâche est de revenir chaque année observer ce morceau de montagne). Sans conflit, la tâche est facile, et voir le héros l’effectuer n’aura que peu d’intérêt, et sans désir, on ne comprendra pas pourquoi le personnage n’abandonne pas à la première difficulté.

Ensuite, plus le récit est long plus il est important de le structurer, afin de conserver de la cohérence, du rythme et surtout l’intérêt du spectateur. J’ai lu un certain nombre de livres sur la dramaturgie, parmi les plus intéressants, il y a l’anatomie du scénario, de John Truby. Et vous, quels livres vous ont le plus appris?

L’anthologiste

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4 commentaires

  1. PH a dit :

    Bonsoir Mr l’anthologiste,

    J’avais repéré votre site depuis un bon petit bout de temps et je le trouve très intéressant / complet.
    Aujourd’hui, je me lance dans un grand projet, assez important dans ma vie d’auteur.
    Mon problème étant que j’ai ma chute (j’en suis très fier !), j’ai mes personnages ainsi que mon style mais je ne sais pas tellement comment faire l’étape des péripéties.
    Ma question étant comment rendre celles-ci intéressantes, accrocheuses ? Quels sont vos conseils pour que la nouvelle ne soit pas ennuyante dans l’ensemble ?

    Voilà, j’attend impatient votre réponse,
    Amicalement,
    PH

    1. L'anthologiste a dit :

      Bonjour,

      Merci pour votre commentaire. Difficile de répondre à votre question de façon détaillée sans écrire un véritable livre ! J’espère que vous avez déjà trouvé quelques éléments de réponse sur l’ensemble de mes articles.
      Il est important d’avoir un déclencheur dynamique. Un événement doit lancer l’histoire. C’est là que l’intérêt du lecteur décolle véritablement. Ensuite, votre question soulève une notion très importante qui a été théorisée par Cédric Salmon, et qu’il a nommé « la tache »:
      Une fois que vous avez trouvé le déclencheur et l’objectif de votre personnage, la question, c’est : que doit faire concrètement mon personnage pour atteindre son objectif ? C’est le cœur de votre histoire. En fonction du genre dramatique, il y a ce que John Truby appelle des « temps forts » (beats) qui structurent le récit, mais encore une fois, le détail de ces temps forts fait l’objet d’une formation de 3 jours qu’il donne 2 fois par an en France. Son livre, l’anatomie du scénario propose une méthode assez complète pour structurer une intrigue.
      Ensuite, « comment faire pour que mon histoire soit intéressante ? », c’est un peu à chaque auteur de trouver les réponses en explorant le champ des possibles. Je vous encourage à visiter le site de Cédric Salmon qui propose à la fois des articles pédagogiques et des prestations d’accompagnement à l’écriture personnalisés.

      Bon courage!

      L’anthologiste

  2. chek a dit :

    Dites moi est-ce que vos conseils sont valables pour le roman également?

    1. L'anthologiste a dit :

      Bonjour,
      Je pense que mes réflexions sur la dramaturgie peuvent effectivement s’appliquer à l’écriture d’un roman, parce qu’il s’agit d’une base commune à tous les récits de fiction, quelles que soient leur forme. Pour autant, le roman nécessite, par définition, d’aller plus loin dans
      le nombre et la complexité des intrigues et des personnages.
      vous ne commettrez pas d’erreur en appliquant mes conseils, car vous aurez toujours besoin de définir un début, un milieu et une fin, mais il vous faudra d’autres ressources pour développer votre récit.

      Bon courage!

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